Chapitre Premier

Je me nomme Arkaëlle, et dans quelques heures je disparaîtrai de ce monde. Pas mourir, non, car on n’accorde pas le repos éternel à un monstre.

Bien des années se sont écoulées depuis que je me suis éveillée à ce monde, « une vie à chercher le chemin, à s’ouvrir la tête sur les peines, et les ronces du temps » chantait un jour une vieille servante. Et aujourd’hui, tout doit finir. Sans un mot, sans un souffle je vais partir, mais non sans regret… De toute mon existence, je n’ai jamais eu peur du néant qui m’attendait. Maintenant qu’il est si proche, le seul mot éternité me fait frémir.

Oui, me voilà à l’aube du dernier voyage. Je pars, sans bagages, sans adieu, sans l’ombre même d’un quelque espoir de retrouver ceux que j’ai perdu et qui m’attendent, là bas, dans l’autre monde. Vous aurez l’Eternité pour retrouver ma trace. Ainsi en ont-Elles décidé, et je n’ai pas le pouvoir de m’y opposer. Du moins je ne l’ai plus. Toute ma vie on m’a menti, offrant à ma vue un avenir si sombre, que je n’ai jamais osé croire à une guérison de ma malédiction. Car Maudite je le suis. Maudite pour n’avoir perçu plus tôt la toile de mensonges qu’on tissait autour de moi, Maudite pour devoir livrer à ces femmes odieuses l’empire que j’ai construit à la sueur de mon front, Maudite enfin pour avoir accepté le rôle qu’on a voulu me donner. Désormais, il est trop tard pour revenir en arrière.

Hélas, la peine que j’éprouve ne trouve pas de réconfort du côté des hommes. Qui croit, qui sait, qui comprendra ma souffrance en voyant s’éloigner avec le respect et l’amour qu’on me devait jadis, la mémoire de tout un peuple ? Mon peuple ! La raison pour laquelle j’ai donné ma vie, et pour qui j’écris encore à présent ! Pour les pères et les mères de ces mêmes gens qui aujourd’hui détournent leur regard à mon passage. Me croient-ils assez stupide pour ne pas voir le signe contre le mauvais sort qu’ils m’adressent dans leur dos ? Est-ce parce que je suis différente que vous ne m’avez jamais acceptée, dans cette ville, sur ce trône qui m’a été offert par vos pères et qui me revient de droit ? Honte à vous qui m’avez ouvert votre cœur pour m’y perdre! Honte à vous qui reniez l’héritage que l’on vous a transmit grâce à moi! Honte à vous qui osez me juger.

L’Errance Eternelle, voilà ma peine ! Voilà mon cœur mis à nu sur l’autel du sacrifice !

Voilà ma sentence pour avoir forgé le monde dans lequel vous vivez.

La colère devra donc être la dernière chose que je ressentirai de moi même ? Qu’il en soit ainsi alors, si tous ceux que j’ai si tendrement chéris ne sont plus là pour apaiser ma peine.

Et Toi… Tu as ressentis ma souffrance n’est-ce pas ? Des années de séparation n’auront finalement pas eu raison du lien qui nous unit. Toujours, je suis ton ombre comme tu es la mienne, toi, le seul être qui me ressemble en ce monde, unique à jamais sans doute. En cet instant tu partages ma peine, je le sais, car l’idée de disparaître te ronge depuis notre naissance. Pardonne-moi de n’avoir pas su la comprendre quand cette mélancolie maladive te gagnait, pardonne-moi de n’avoir pas trouvé de remède à tes peurs. En ce jour, j’ai enfin compris quel esprit t’animait, et je le vois avec dégoût s’approprier mon corps, me tourmenter à mon tour. « Courage » te lançais-je d’innombrables fois. Aujourd’hui j’en manque autant que toi.

Non, ne cherche pas à m’aider, ton cœur aussi vacille, il s’emballe et tu es terrifiée. Oui tais toi et écoute : Aujourd’hui, j’ai pris la plume. Pour toi, pour moi, pour l’Histoire, pour eux. Pour ne pas que parvienne aux générations qui vont suivre une vision erronée des profonds troubles qui bouleversèrent notre pays. Troubles que nous avons vécus, troubles auxquels, je l’avoue, nous avons activement participés.

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